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Confession d'une étudiante aliénée 1

Confession d'une étudiante aliénée

Notice – cette nouvelle écrite sous forme épistolaire exprime les idées d’une étudiante aliénée par un système d’éducation impersonnel. Libre à vous d’y adhérer ou non.

7 janvier 2013 : J’ai cessé de vous écrire pendant un moment. Pardonnez-moi, j’avais la tête ailleurs. Je sentais toutefois le besoin de vous parler, car j’ai parfois le sentiment que vous êtes la seule personne de mon entourage en mesure de me comprendre. Cela dit, je me lance.

La rédaction de cette lettre m’est fort pénible. Je suis dans un état de fatigue avancé dû à mon manque de sommeil. La fatigue me larve les yeux pour une raison que vous devinez sans doute. Oui, je croule sous les travaux. Ma condition d’étudiante me condamne à vivre une vie des plus monotones, si bien qu’un questionnement que je croyais endormi vient de refaire surface. La source de mon interrogation risque fortement de vous exaspérer, mais pesant sur ma conscience comme un couvercle, je dois absolument m’en libérer. Je m’empresse de vous la livrer sous la forme d’une question : la fréquentation d’un institut scolaire m’est-elle bénéfique?

Je vous rassure, je ne remets pas en question l’importance de l’acquisition des connaissances. Je suis d’ailleurs d’avis que ce sont ces dernières qui alimentent le fruit de mes réflexions. Je doute toutefois du véhicule qui les transporte. La transmission du savoir se fait d’une façon des plus impersonnelles. Elle nous aliène. L’élève se voit dans l’obligation de se soumettre à la volonté d’individus qui jugeront bien froidement la valeur de son travail alors qu’ils paraissent parfois dépourvus de ces capacités. Il déploie d’innombrables efforts, met son bien-être de côté pour répondre aux exigences de personnages sans considération. Ce traitement me semble inhumain et ne répond en aucun point à l’idée que je me fais de l’éducation. J’ai la conviction que cette chose devrait être agréable au point où il serait difficile, voire même impossible, de s’en lasser. Or, il suffit de discuter avec des étudiants pour observer une réalité tout autre. Ils ont le teint pâle, des cernes creux. Pire encore : de façon générale, ils répondent, lorsqu’on leur demande les raisons pour lesquelles ils fréquentent un établissement scolaire, que c’est un mal nécessaire.

Cette réponse me déchire, me révolte. Je n’ai toutefois pas la force d’agir concrètement. Je me contente de réfléchir, je reste dans l’inaction. C’est moins éprouvant, vous le savez.

10 janvier 2013 : Je suis déçue par votre question. J’avais imaginé que vous me connaissiez mieux. Je prends cependant la peine d’y répondre puisque vous m’êtes cher.

Il m’est impossible de commettre une quelconque action allant à l’encontre des valeurs véhiculées par la société dans laquelle nous vivons, car j’accorde une trop grande importance aux apparences. J’ai le souci de correspondre aux attentes de mes proches. Ainsi, je suis prisonnière de mes idées. Je suis tout à fait consciente qu’il est parfaitement idiot de vivre dans le regard des autres comme je le fais. C’est un comportement dont je suis toutefois incapable de me débarrasser, car il découle de mon éducation. Vous savez, nous montrons, dès leur plus jeune âge, l’art de la séduction aux fillettes. Nous valorisons leurs comportements les plus superficiels. Elles doivent être agréables et charmantes. Elles font l’objet de vifs reproches si elles osent défier l’autorité d’une quelconque façon.

J’ai essayé, par le passé, de me défaire de ce bagage. J’ai réussi pendant un certain temps, mais la solitude a fini par me rattraper. Dois-je vous rappeler que le fait de vivre en marge de la société n’a rien d’agréable? L’Homme a besoin de compagnie autant qu’il a besoin d’avoir l’impression d’être aimé. C’est un fait indéniable et universel. La condition de marginal expose quiconque s’y livre aux commentaires les plus blessants. Je suis trop fragile pour de pareilles choses. Je renonce donc à mes propres idées au profit du confort apporté par ma conformité. Je vous avoue que le prix de ce dernier me semble souvent exagérément élevé, mais je n’y peux rien. Je suis une lâche, rien de moins. Me pardonnez-vous?

14 janvier 2013 : Je vous avouais ouvertement, dans ma dernière lettre, que j’étais lâche. Cet aveu, depuis lors, résonne dans ma tête et est à l’origine d’un malaise que je peine à faire disparaître. Je tente de soulager ma conscience en prétextant qu’il est ardu de se défaire de plusieurs années de conditionnement. Par le passé, ce raisonnement me suffisait, de sorte que j’arrivais à retrouver ma tranquillité d’esprit. Or, aujourd’hui est un jour nouveau.

Je constate que seule l’action saura me libérer de mon mal-être. Il est vrai que je risque beaucoup en me défaisant des valeurs transmises par ma famille. Après tout, elles assurent ma subsistance depuis bientôt vingt ans et j’étais heureuse d’y adhérer jusqu’à tout récemment. J’ai toutefois la certitude que j’ai besoin de vivre ma vie autrement. J’ai besoin de prouver, à moi-même et aux autres, que le bonheur peut prendre des formes autres que celles suggérées par le mode de vie auquel nous nous livrons. Cette volonté vous paraîtra sans doute audacieuse, mais étant dans l’incapacité de connaître ce que le futur me réserve, je suis prête à tout.

Il ne me reste plus qu’à plonger. Je vous prie de ne pas me rattraper lorsque je serai en chute libre.

19 janvier 2013 : La nouvelle que je vais vous annoncer à l’instant vous laissera mitigé. Je vous prie cependant de ne point être chagriné. Ce sentiment contrasterait trop fortement avec l’état d’euphorie dans lequel je suis.

Je quitte pour Paris d’ici quelques jours. J’interromps mes études pendant un instant afin de me livrer à un mode de vie frivole. Je les reprendrai d’ici peu, soyez sans crainte. J’ai grand besoin de cette pause, sans doute parce que j’ai conclu qu’il faut se perdre pour mieux se retrouver. J’errerai donc dans les rues de cette grande ville à la recherche de la vérité. Viendrez-vous me rejoindre pendant vos vacances?

1 Commentaire

Yass'

Cette nouvelle est d'une qualité exceptionnelle. Elle fait écho aux cris du coeur d'étudiants dans la même situation, mais n'ayant pas pris le temps de poser les mots sur ce sentiment. Bravo !